Lundi 10 décembre
01, Samâdhi PM
L’orgueil de la Forme.
Cela se doit tomber, comme vieille peau morte qui n’a plus de
prise d’avec le vivant, comme quelque chose qui a eu sens et utilité
et qui un jour, s’aperçoit qu’elle est toute seule
sur son chemin, que le monde a pris autre direction et qu’elle
n’a plus de raison de continuer ainsi, autre que son orgueil stupide
et absurde de se vouloir encore exister à tout prix.
Pourtant la vie lui accorda le temps de ses spectacles le rôle
de vedette toute palpitante de désir, elle eut ses heures de
gloire des feux de la rampe et s’imposa même à plus
fort et plus faible qu’elle, accordant faveur à qui la
courtisait et ignorait ou méprisait de son regard tout hautain
les prétendants d’une autre vérité, sans
se rendre compte une seconde de sa prétention, se croyant à
jamais l’élue du destin.
Elle sut se choisir bon public qui l’adula, l’enjôla
et la plaça sur son trône toute palpitante de la gloire
et du pouvoir, sans s’imaginer qu’il n’était
que le miroir grand teint-séducteur d’elle-même.
Le temps traversa, en lutte, triomphe, et défaite commune de
la vie, pourtant s’en revenait toujours à chaque tournée,
l’œil encore plus lubrique et étincelant, plus vindicative
et acharnée, soucieuse de l’importance et du grandiose
ridicules de son rôle et destinée, se vantant d’en
découdre à jamais à qui s’opposerait. Tyrannique
et séduisante à souhait, elle sut, de plus toute effrontée
et autoritaire, imposer loi d’acier au peuple et à l’élite
et même mener dragée haute au noble seigneur du royaume
et à sa reine, l’âme. Il est cependant des temps
de la victoire et des temps du déclin, ce porteur inévitable
de la défaite et de la fin. Mais toute brillante, hallucinée
et éblouie d’elle-même, vivant de sa propre image
enluminée des projecteurs couleur de scène, ne s’aperçut
nullement que le monde avait changé, que même ses plus
zélés admirateurs commençaient à se lasser,
voire même à se détourner. Sur sa face douloureuse
d’Ignorance les traits se flétrissaient, les rides se creusaient
et la beauté du grain velouté de sa séduction de
jadis se devenait déjà une légende oubliée
; les pages du Temps avaient œuvré, toute imbue de sa mémoire
forgée ne se vit pas faner. Jeu de la perversité, à
son passage même les miroirs de la réalité se voilaient,
se moquaient et trichaient, et ce en toute impunité !
Elle ne sut ce qui lui arrivait, elle se retrouva sur la scène
un jour de pleine gloire d’Ignorance, se cherchant désespérément
réplique et spectateurs adulés, ne rencontra que vide
et page d’oubli d’un livre de conte déjà fermé.
Les temps avaient changé, la vie s’en était allée,
le temps d’une peau-chrysalide … il ne restait plus que
vieille peau morte desséchée d’une destinée
oubliée que plus personne maintenant même ne remarquait.